Denis Meuret est professeur émérite en sciences de l’éducation, et chercheur à l’IREDU. Durant sa carrière, il s’est intéressé aux questions d’évaluation du système éducatif.
Dans le cadre des 50 ans de l’IREDU, Denis Meuret a accepté de nous parler de l’une de ses publications Il s’agit d’un article intitulé « L’efficacité de la politique des zones d’éducation prioritaire dans les collèges », daté de 1994 et paru dans la revue française de pédagogie, n°109
« Pouvez-vous restituer cette publication dans votre carrière ? »
Denis Meuret : « Il s’agit de l’une de mes premières publications, et de mon premier article dans le domaine de l’éducation. Il a été publié avant que j’intègre l’IREDU, lorsque j’ai écrit cet article, j’étais à la fin de mon travail à la direction de l’évaluation et de la prospective où j’étais chef d’un département de l’évaluation des établissements et des systèmes scolaires. Mais aussi après que je sois devenu professeur et que j’ai été recruté à l’IUFM de Bretagne. C’est un travail que j’ai fait en plus de mon travail à la DEP. J’ai travaillé dessus dans les années 1992-1993 et il a été publié en 1994. »
« Comment a émergé cette question de recherche ? »
Denis Meuret : « J’étais au ministère de l’éducation depuis le début de la politique ZEP. Avec un certain nombre de personnes au ministère de cette époque, nous étions des partisans résolus de cette politique et nous nous y intéressions beaucoup. Donc nous voulions travailler dessus, par exemple, nous avions proposé dans des groupes de travail après la mise au point de la politique, de faire des évaluations des ZEP pour voir si cette dernière réforme était efficace. Nous étions confrontés à des personnes qui étaient des idéologues des ZEP et pour qui il était évident que ça allait fonctionner. Il était donc très mal perçu de remettre en question l’efficacité du dispositif.
J’avais cette idée qu’il fallait évaluer cette politique malgré l’unanimité qui existait en sa faveur, j’ai eu l’occasion de me servir d’une étude que j’avais lancé moi-même. En emploi à la DEP, je disposais d’un budget pour financer des chercheurs J’ai donc missionné Aletta Grisay, une chercheuse belge, de faire une étude sur l’efficacité des collèges. Cette étude s’est avérée très lourde : en effet nous avons évalué pendant quatre ans, 100 collèges avec 80 élèves suivis dans chacun d’entre eux, ainsi que les progrès des élèves réalisés en français, en maths, et dans une série de dimension non cognitive. Le but était de voir ce qui se passait dans les collèges les plus efficaces et dans ceux moins efficaces. C’était un type d’étude fréquent à l’époque dans les pays anglo-saxons, mais qui n’avait jamais été fait en France. Or, il s’est trouvé que pour faire cette étude, nous avons utilisé un échantillon non pas représentatif mais contrasté, où donc on avait augmenté la proportion d’établissements favorisés socialement et ceux défavorisés socialement, de façon à avoir des contrastes plus nets pour repérer plus aisément ce qui fonctionnait ou non.
Il s’est trouvé que sur les 100 collèges, 30 étaient en ZEP et 70 n’étaient pas en ZEP. J’ai eu l’idée une fois que l’étude principale était parue, d’établir une comparaison entre ZEP et non ZEP. C’est donc comme ça qu’a émergé cette question de recherche : à la fois par un intérêt pour les ZEP, qui était à la fois politique et pédagogique, et puis, l’occasion de disposer de données de très grande qualité. »
« Le thème était-il nouveau au moment où vous écrivez cet article ? »
Denis Meuret : « Alors, pas tout à fait, à l’IREDU Alain Mingat avait établi une comparaison entre les CP ZEP et les CP non ZEP. Donc ce n’est pas la première étude sur les ZEP, mais c’était la première étude sur les collèges de ZEP. Ça faisait suite à des rapports de l’inspection générale sur les ZEP, qui avaient une valeur scientifique assez faible. »
« Quel était l’enjeu scientifique de cette recherche ? »
Denis Meuret : « Pour moi l’enjeu était surtout politique, le but était de montrer l’efficacité de cette réforme, j’étais très favorable à cette politique et j’espérais trouver des résultats positifs mais ça n’a pas été le cas. »
« Quel était le contexte plus institutionnel ? »
Denis Meuret : « Tout le monde était plutôt favorable à la politique dans le milieu des sciences de l’éducation et dans l’administration de l’éducation. En revanche, tout le monde n’était pas persuadé que ce type de méthode était intéressant pour mesurer l’efficacité des ZEP. L’idée de mesurer l’efficacité d’une politique à partir des compétences des élèves était quelque chose qui à l’époque était novateur. »
« Quels étaient les aspects les plus novateurs du papier ? »
Denis Meuret : « L’utilisation du logiciel LISREL était la première dans le champ de l’éducation en France, c’était utilisé auparavant dans des études marketing et d’ailleurs certains de mes collègues étaient sceptiques quant à l’utilisation de cette méthode. Par la suite, cette méthode a beaucoup été utilisée par Sophie Morlaix à l’IREDU. Puis je l’ai réutilisée dans d’autres études que j’ai faite à l’IREDU.
« Y-a-t-il eu des prolongements à l’IREDU ? »
Denis Meuret : « Alors non, il n’y a pas eu d’autres études sur les ZEP à l’IREDU, il y en a eu par d’autres chercheurs, des économistes. Mais à l’IREDU, personne, dont moi, n’a continué sur ce travail. »
« Les économistes qui ont effectué ces prolongements plusieurs années plus tard, sont-ils arrivés aux mêmes résultats que vous ? Si non, qu’ont-ils démontré ? »
Denis Meuret : « La deuxième étude qui a été faite sur les ZEP est sortie en 2004 de Benabou, Kramarz et Prost, donc 10 ans plus tard. Et une autre en 2013 réalisée par Caille, Davezies et Garrouste, soit environ une étude tous les dix ans. Ces études étaient meilleures que la mienne d’un point de vue méthodologique.
L’étude de 2004 a exclu la possibilité que les ZEP aient amélioré les choses mais pas assez. Ils ont utilisé une méthode de différence dans la différence, eux aussi ne trouvaient aucun effet positif de la politique et une des explications qu’ils avançaient était que nous n’avions pas donné assez de moyens aux établissements ZEP. Le ministère a réagi à cette deuxième étude en reconfigurant la politique ZEP, qui sont devenues à ce moment des Réseaux Ambitions Réussite (RAR), en leur donnant d’avantage de moyens. La troisième étude a évalué cette politique des RAR en utilisant une méthode que les économistes avaient découvert entre temps, nommée « régression de discontinuité », mais eux aussi ne trouvaient pas d’effets positifs à la politique. Les deux études ont donc confirmé les conclusions que j’avais avancé vingt ans plus tôt. »
« Les résultats que vous avez obtenus vous-ont donc surpris ? »
Denis Meuret : « J’ai été surpris par mes résultats de façon partielle car dans les autres pays qui avaient mis en place des politiques semblables, en général les observations avaient été décevantes. Cependant, il y avait quelques raisons de penser que la politique française serait plus efficace que ses prédécesseuses, c’est pourquoi j’ai tout de même été un peu surpris. »
« Les résultats sont-ils toujours d’actualité ? Pourquoi ? »
Denis Meuret : « Je crains que oui, parce que mon étude montrait que certains établissements ZEP étaient efficaces et que d’autres ne l’étaient pas du tout. Le fait que les résultats soient très différents d’un établissement à l’autre, montrait qu’il fallait évaluer les établissements afin de corriger les politiques de ceux qui n’étaient pas efficaces. Ceci n’a pas été fait, c’est pourquoi je pense que les résultats sont toujours d’actualité. »
« Rétrospectivement, auriez-vous changé quelque chose à l’article ? »
Denis Meuret : « J’insisterais davantage en conclusion sur la nécessité d’évaluer les établissements ZEP très régulièrement et de piloter cette politique à partir de ces évaluations. Je regrette aussi que les études qui ont suivis n’aient pas repris l’étude des compétences non cognitives des élèves. Mon article montrait que les ZEP avaient un léger effet positif sur la motivation des élèves et leur appétence pour la coopération. Travailler sur le potentiel développement des soft skills des élèves en ZEP semblait donc intéressant. Je regrette donc que les études suivantes n’aient pas eu les données adéquates et n’aient pas utilisé les outils plus performants dont ils disposaient afin de confirmer ou de réévaluer l’évolution de ces compétences dans les établissements ZEP. »
Entretien réalisé par Léa Mouflin, stagiaire à l’IREDU en Février 2021