Appel à contribution : les docteurs en entreprise

Les docteurs en entreprise : contextes, postures, activités, outils et perspectives.

Quelle(s) place(s) pour les docteurs dans les organisations de travail ?

Appel à articles pour la revue Formation Emploi

Proposé par Caroline Hache, Gilles Fernandez, Nathalie Mikailoff, Cécile Redondo

L’activité des docteurs dans les entreprises, et plus largement dans les organisations de travail publiques comme privées, suscite de nombreuses interrogations. Les offres d’emploi en entreprise augmentent sensiblement, s’ajoutant à celles du secteur public et de la recherche académique. Notre revue de littérature ne nous a pas permis de découvrir des partages d’expériences et des analyses de situations qui puissent nourrir les échanges, d’illustrer le propos et de contextualiser des expériences récentes liées à la place accordée à cette activité. Ainsi nous souhaitons apporter un éclairage récent sur ce sujet et sur les incidences des évolutions apportées à la formation doctorale dans le parcours professionnel des docteurs en entreprise et la place accordée à la recherche.

Cet appel s’inscrit dans la continuité de la réflexion menée au sein du séminaire Néodoc (Fernandez, Hache & Mikailoff, 2020) qui propose des temps d’échange et de collaboration autour des perspectives de l’après-thèse entre doctorants et néo-docteurs. Ce type de séminaire questionne la poursuite d’une activité de recherche après la thèse dans et en dehors des champs académiques. Ces séminaires ont permis de développer une pratique réflexive sur l’activité de recherche en entreprise et une mutualisation des expériences.

L’objectif de ce numéro spécial sera de montrer de quoi est constituée l’activité de recherche en entreprise et des postures de docteur que celle-ci engendre. Ce dossier s’intéressera à l’analyse des activités des docteurs en entreprise en présentant l’actualité de ces activités, par la connaissance de la variété des situations de mobilisation des compétences de docteurs, les méthodologies employées ainsi que l’utilité de ces recherches dans des secteurs professionnels variés du public ou ou du privé. La diversité des contextes et des territoires pourra donner lieu à une ouverture, voire à une comparaison internationale pour montrer s’il existe, ou non, une spécificité française.

Ces articles pourront permettre une mise en perspectives entre terrain professionnel et posture de docteurs en matière d’attentes professionnelles, d’apport direct et indirect de l’activité de recherche. Il sera possible également de présenter les limites de la formation doctorale (reçue) à l’épreuve du monde de l’entreprise et de ses codes.

La place des docteurs en entreprise

La formation doctorale a évolué durant ces dernières années pour prendre en compte la difficile insertion professionnelle des docteurs. En effet, initialement entièrement centrée sur l’expertise scientifique, la formation doctorale tend à s’ouvrir sur un monde socio-économique plus complexe (Pretceille, 2014) et doit répondre à des enjeux de professionnalisation (Cros & Bombaron, 2018). L’accent doit être mis, durant leurs années de formation, sur la transférabilité des compétences acquises durant le doctorat (MESRI, 2020), pouvant intéresser le monde de l’entreprise.

La place accordée aux chercheurs et aux activités menées suscite bien des interrogations au sein des entreprises. Les docteurs sont plus ou moins reconnus et la reconnaissance du diplôme est parfois difficile. Calmand (2018) évoque la difficulté d’insertion professionnelle qui impacte significativement l’attractivité du diplôme. Les ingénieurs-docteurs semblent encore bénéficier d’un a priori favorable en matière de polyvalence. La rigueur des docteurs, l’adaptabilité et la transférabilité de leurs compétences reçoivent, depuis une décennie, davantage de légitimité, même si les doctorants font état de leur difficulté à se préparer à leur entretien d’embauche et à la valorisation des compétences spécifiques attendues en entreprise. Il apparaît difficile de mettre en avant des compétences développées et mobilisées dans des contextes différents (Weber et al., 2018).

Bien que le monde de la recherche académique et celui de l’entreprise semblent encore souffrir des méconnaissances respectives et réciproques, qui suscitent des réticences de part et d’autre, chacun œuvre pour un rapprochement des deux sphères, avec des temps d’échanges autour des besoins, des attentes et des curricula de formation. La mise en place de certification conjointe entre école doctorale et école d’ingénieurs dans le cadre du parcours « compétences pour l’entreprise » (CEP) pour le doctorat[1] en est une illustration. Le développement des services de recherche et développement (R&D) constitue un cadre propice à l’activité des chercheurs au cours des travaux de thèse, mais également dans la perspective d’une poursuite de carrière.

Même si l’insertion des docteurs se heurte encore à des préjugés, les difficultés à l’embauche relèvent l’importance accordée par les employeurs à la gestion et la conduite de projets. Est présente également la difficulté de valorisation, par les docteurs, de certaines compétences qu’ils emploient parfois à leur insu et qu’ils ont du mal à valoriser lors des entretiens d’embauche pour lesquels ils ne sont pas forcément bien préparés.

L’Association des docteurs de l’Université Pierre et Marie Curie (UPCM) à Paris 6 (Honikman, 2015) propose un regard assez exhaustif sur les compétences et leurs impacts dans l’entreprise. Cette illustration de la transférabilité des compétences est une démarche dont se saisissent actuellement de nombreuses associations de docteurs, des cabinets de « chasseur de tête » et de recruteurs afin de cibler le public des jeunes docteurs. Ce soutien et ce travail de prospective sont soulignés par Berthiaume et al. (2020) pour permettre une projection dans un emploi évoquée plus tôt au sein du parcours doctoral. Cela permet ainsi au docteur de se projeter et d’anticiper les besoins et attentes du monde de l’entreprise. D’ailleurs, la connaissance des dispositifs d’accompagnement et de financement des docteurs en entreprises ainsi qu’une activité au sein d’un cabinet de conseil constituent, pour Canolle (2019), une approche solide pour questionner la professionnalisation au travail et par l’activité menée, le développement des compétences et le transfert de celles-ci dans le monde professionnel. Notre thématique s’intéresse à l’organisation retenue pour la recherche dans un contexte d’entreprise, tout en questionnant les liens et les perspectives qui découlent de cette mise en œuvre et la posture du chercheur qui peut y être associée.

Quelle est l’expérience du docteur dans le monde professionnel ? Quelle est la place faite ou laissée aux docteurs ? Comment les docteurs se positionnent-ils vis à vis de l’entreprise pour valoriser leurs travaux ? Quels rapprochements, ou au contraire quels écarts, peuvent être mis en évidence dans l’activité des docteurs entre les divers secteurs professionnels ? Comment les docteurs se positionnent-ils entre leurs différentes identités professionnelles ? Selon quelles modalités y parviennent-ils et avec quelles conséquences sur leur vécu professionnel ? Comment perçoivent-ils leurs rapports aux autres professionnels ?

L’activité de recherche en entreprise

Depuis 2006, l’accompagnement des docteurs dans le monde de l’entreprise se fait avec de nombreux dispositifs de soutien et de financement. Du dispositif CIFRE (Conventions industrielles de formation par la recherche) au CIR (crédit d’impôt recherche) pour les jeunes docteurs, les accès sont facilités pour favoriser l’emploi des docteurs en entreprise. Les mentalités évoluent progressivement avec une carrière hors de la recherche académique publique qui entre, à présent, dans le champ des possibles pour eux.  

Les dispositifs de financement sont des aides précieuses pour accéder à ces emplois de recherche qui se traduisent par une nouvelle forme de prise en considération (d’intégration) de ces nouveaux profils. Tout comme le contrat CIFRE avait suscité un réel engouement, le CIR pour les jeunes docteurs impacte favorablement l’accès de ceux-ci à l’entreprise (Margolis & Miotti, 2015). L’embauche des « jeunes docteurs » a été favorisée par l’évolution dudit dispositif ainsi que par les réformes successives en 2006 et 2008 pour atteindre, en 2017, un total de 2 230 entreprises bénéficiaires. Il est à préciser que l’implantation des docteurs en entreprise est significativement marquée par le secteur d’activité. Les entreprises sont initialement en attente d’une forme de transférabilité des compétences et d’adaptabilité de la part des chercheurs dans cet autre univers. Giret et al. (2018) évoque l’apport du dispositif jeunes docteurs dans le domaine des R&D et souligne à nouveau les notions de polyvalence, d’approche concrète de la réalité du terrain, voire une meilleure connaissance des attentes. Cela permet de voir une évolution de l’accompagnement des docteurs pour permettre davantage d’employabilité (Berthiaume et al. op. cit., 2020). D’une part, les docteurs doivent se confronter et s’adapter à un élément structurel lié à la taille de l’entreprise. D’autre part, la part dédiée, effectivement, à l’activité de recherche au sein de leur activité professionnelle dépend de la taille des entreprises (GE et PME) et du secteur d’activité qui intègrent des docteurs dans leur fonctionnement. Pourtant, des illustrations de l’apport des docteurs et universitaires lors d’expériences en entreprise sont présentées dans les travaux de David (2013), particulièrement dans le domaine de l’innovation et du management. 

Ce numéro spécial s’intéressera aux recherches réalisées dans le monde de l’entreprise, ainsi qu’aux méthodologies et outils d’enquête privilégiés. Les matériaux utilisés devront être clairement identifiés ainsi que la posture du docteur et sa prise de distance vis-à-vis de ses données. Cela permettra également de faire état de la diversité des cadres théoriques utilisés dans ces recherches et des disciplines mobilisées. Seront bienvenus les travaux mettant en évidence la plus-value de la recherche dans la formation professionnelle au sein des institutions et/ou des entreprises, ainsi que la place particulière des jeunes chercheurs dans les organisations de travail.

Quelle place et quel sens sont accordés à l’activité de recherche en entreprise ? Comment s’élaborent les recherches en entreprise et à quelles logiques politiques et techniques répondent-elles ? Quelles sont les activités du docteur ou doctorant, leurs missions, leurs rôles au sein de l’institution ? Quels sont les effets des contextes d’exercices sur ces questions ? Quelles dimensions prévalent et orientent le travail quotidien de ces chercheurs ? Quels sont les apports de la démarche de recherche dans la gestion de projet ? Quelle est la place des compétences de management et de communication dans l’activité professionnelle du chercheur ?

Cet ensemble de questions est susceptible de mettre en évidence l’exploitation du travail de recherche. Cela permettra de caractériser l’exploitation in situ qui en découle ainsi que les éventuelles perspectives qui se sont dégagées de cette réflexion.

Consignes aux auteurs

Les textes sont attendus pour le 1 mars avec une publication envisagée début 2024. Ils sont à envoyer à l’adresse suivante : fe@cereq.fr en précisant dans l’objet « appel article docteurs en entreprise ».

Les articles devront respecter les normes de la revue et notamment la taille maximale (15 pages, 45 000 signes) (cf. note aux auteurs) : http ://formationemploi.revues.org/2611

Vous pouvez contacter si besoin en amont les coordinateurs qui assureront le suivi scientifique du dossier et les liens avec le rédacteur en chef et le comité de rédaction de la revue : Caroline Hache (caroline.hache@univ-amu.fr) ; Gilles Fernandez (gilles.fernandez@univ-amu.fr) ; Cécile Redondo (cecile.redondo@univ-amu.fr) ; Nathalie Mikaïloff (nathalie.mikailoff@univ-amu.fr)

Bibliographie indicative

Bernela B.& Bertrand I. (2015), Trajectoires d’accès à l’emploi des jeunes docteurs : l’enchevêtrement des parcours professionnels, personnels et géographiques. Document de travail. Récupéré sur https://halshs.archivesouvertes.fr/halshs-01167166/document

Bernela, B., Bonnal, L., Bonnard, C., Calmand, J., & Giret, J. F. (2018), Une évaluation des effets du dispositif Jeunes

Docteurs sur l’accès aux emplois de R&D. Rapport pour France Stratégie. Récupéré sur http://pmb5.cereq.fr/Documents_numeriques_PMB/18002.pdf

Berthiaume, D., Bosson, M., Elston, V., Skakni, I. (2020), L’expérience doctorale : état des lieux et propositions de structuration. DEVPRO Centre HES-SO – Fribourg. 

Bonnard, C., Calmand, J., Giret. J-F. (2016), « Devenir chercheur ou enseignant chercheur : le goût pour la recherche des doctorants à l’épreuve du marché du travail », Recherches en éducation, (25), pp. 157-173. halshs-01282661

Calmand, J. (2015), « L’insertion à trois ans des docteurs diplômés en 2010 », Net.Doc du Cereq, 144.

Calmand, J. (2018), « La place du doctorat sur le marché du travail a-t-elle évolué durant ces 20 dernières années ? », dans Couppié T., Dupray, A. Épiphane D., & Mora V., 20 ans d’insertion professionnelle des jeunes : entre permanences et évolutions. Marseille, Céreq, pp.133-138,.https://www.cereq.fr/20ansdinsertionprofessionnelledesjeunesentrepermanencesetevolutions halshs01771032.

Calmand, J. (2019), « La professionnalisation de l’enseignement supérieur et du doctorat, quels effets sur les parcours scolaires et les perspectives professionnelles des docteurs ? », dans Lemistre P., & Calmand J., Effet du parcours à diplôme donné sur l’insertion professionnelle. Groupe de travail sur l’enseignement supérieur ? ). Marseille, Céreq, pp. 105-118 https://www.cereq.fr/sites/default/files/201912/CECH11.pdf#page=107 

Calmand, J., Prieur, M. H., & Wolber, O. (2017), « Les débuts de carrière des docteurs ? Une forte différenciation des trajectoires professionnelles », Bref du Cereq, 354 .https://www.cereq.fr/sites/default/files/201903/b354.pdf  

Canolle, F. (2019), La professionnalisation au travail : dialogue avec la Théorie Historico-Culturelle de l’Activité. Thèse de doctorat en sciences de gestion, Université Jean Moulin – Lyon 3.

Cros, F., & Bombaron, E. (2018), Le doctorat et sa professionnalisation. Quelle place pour la thèse ?, Mont-SaintAignan : Presses Universitaires de Rouen et du Havre.

David, A. (2013), « La place des chercheurs dans l’innovation managériale », Revue française de gestion, 6(6), pp. 91-112.

Durette B., Fournier M., & Lafon M. (2012), Compétences et employabilité des docteurs. Rapport d’enquête.

Fernandez, G., Hache, C., & Mikaïloff, N. (2020). « Parcours universitaire, parcours professionnel : le cas d’un séminaire pour néo-docteurs », Les cahiers d’E&D, 35/36. 

Giret, J-F.et al. (2018), Une évaluation des effets du Dispositif Jeunes Docteurs sur l’accès aux emplois de R&D.

Intervention lors du Séminaire « Evaluation du crédit d’impôt recherche ». https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/rapport_giret_et_al_djd_cir_version_octobre_2018.pdf 

Harfi, M. (2013), Les difficultés d’insertion professionnelle des docteurs. Les raisons d’une « exception française ».

Document de travail dans le cadre du Commissariat général à la stratégie et à la prospective. https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/DT_201307Doctorantsfinal2210valHM.pdf 

Honikman, E. (2015), Livre blanc sur les compétences des docteurs. Les 28 propositions pour améliorer la reconnaissance et la carrière des docteurs, Paris, Association des docteurs de l’UMPC.

Le Bayon, F. (2019), “Rechercher un emploi lorsqu’on vient d’être docteur : les ajustements entre projet

professionnel, transition vers la vie d’adulte et représentations du marché du travail à l’épreuve du temps”, Céreq Échanges, 10, pp. 267-280. https://hal.archivesouvertes.fr/hal02351005/document 

Margolis, D., & Miotti, L. (2015), Évaluation de l’impact du dispositif « jeunes docteurs » du crédit d’impôt recherche. Rapport du MENSR. http://cache.media.enseignementsuprecherche.gouv.fr/file/CIR/73/5/jeune_docteur_et_CIR_520735.pdf 

MESR. (2012). Campagne de recrutement et d’affectation des maîtres de conférences et des professeurs des universités. Rapport de la DGRH A1-1.

MESR. (2013), Etude de la promotion 2012 des qualifiés aux fonctions de maître de conférences et de professeur des universités. Rapport de la DGRH A1-1.

MESRI (2019), État de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation en France. Rapport du MENSR, 12.

MESRI (2020), Le doctorat en France : du choix à la poursuite de carrière. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2021-10/le-doctorat-en-france-du-choix-la-poursuite-de-carri-re-rapport-ig-sr-n-2020-114-juillet-2020-pilot-par-s-kallenbach-14467.pdf  

Pretceille, M. (2014), « Les docteurs de l’Université en France du savoir-faire au faire-savoir », Pedagogia Oggi, (1), pp. 63-78. https://www.siped.it/wpcontent/uploads/2014/04/Pedagogia_oggi12014finale.6378.pdf 

Riedinger, N., & Zaiem, M. (2011), « Y a-t-il un problème d’insertion des titulaires de doctorat dans les centres de R&D des entreprises ? », Économie & prévision, 197-198(1), 177-184https://www.cairn.info/revueeconomieetprevision20111page177.htm 

Weber, C., Borit, M., Canolle, F., Hnatkova, E., O’Neill, G, et al. (2018), Identifying Transferable Skills and Competences to Enhance Early Career Researchers Employability and Competitiveness. Research Report: EURODOC. <hal-01894753> https://www.enscm.fr/fr/recherche/doctorat/ et http://www.cdefi.fr/activites/le-parcours-competences-pour-lentreprise

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