Revue Dossiers des Sciences de l’Éducation, n° 51, 2024
Coordination :
Richard Wittorski (Université de Rouen Normandie)
Christiana Charalampopoulou (Université Toulouse – Jean Jaurès)
1–Orientation du numéro
Ce projet de numéro thématique des Dossiers des Sciences de l’Éducation (DSE) sur les liens entre domicile et apprentissages s’appuie sur un triple constat : une opportunité de recherche ; des enjeux sociaux, socio–professionnels et scientifiques forts ; des points aveugles des recherches en cours.
D’une part, on peut faire le constat d’une opportunité favorable au fait de s’intéresser aux liens entre domicile et apprentissages à l’heure où le domicile est l’objet de transformations importantes (développement de la domotique, recompositions, prise en charge de la fin de vie…) qui traduisent un mouvement de « domiciliarisation » en cours (intégration au domicile d’activités auparavant prises en charge par les institutions). Même si le domicile est d’abord le lieu d’activités présentant une certaine permanence en lien avec des fonctions sociales traditionnellement assurées (par exemple, transmission
de valeurs familiales, socialisation et premiers apprentissages, soutien mutuel…), il est également en effet le lieu du développement d’activités nouvelles depuis quelques décennies en lien non seulement avec des façons probablement renouvelées de remplir certaines fonctions traditionnelles (par exemple la réalisation de tâches ménagères davantage « déléguées » avec le développement massif de l’emploi à domicile…), mais également avec la nécessité de remplir de nouvelles fonctions (par exemple, le volume de la prise en charge d’actes de santé directement au domicile (HAD) auparavant réalisés dans les institutions de soin externes au domicile et les nouvelles formes d’organisation qui y sont liées…).
Ainsi voit–on apparaître des changements importants dans le domicile : l’entrée de nouvelles technologies et la modification du rapport à l’information (accès, rythme, quantité…), une structure familiale renouvelée (familles recomposées…), le transfert plus important des tâches domestiques à des salariés du domicile, la frontière poreuse s’agissant des espaces–temps de travail et de vie privée (avec une manifestation accrue pendant les confinements liés à la pandémie COVID 19). La question des apprentissages développés au domicile se pose donc avec acuité aujourd’hui en lien avec les changements importants qui s’y opèrent accompagnant le développement de nouvelles fonctions et donc de nouvelles activités supports d’apprentissages nouveaux.
En lien avec ces transformations, plusieurs recherches commencent à produire des résultats sur l’étude des spécificités du domicile (Djaoui, 2011), l’analyse des emplois à domicile (Avril, 2014), l’étude du rôle d’employeur à domicile (Angotti, 2008) ou l’étude des liens entre domicile et apprentissage (Wittorski et al., 2020), notamment à partir des recherches conduites avec un organisme de formation des salariés des particuliers employeurs (IPERIA) et la Fédération des particuliers employeurs (FEPEM) depuis 2014.
D’autre part, nous faisons le constat de l’existence d’enjeux sociaux, socio-professionnels et scientifiques nouveaux en lien avec l’intérêt social et professionnel d’identifier, de reconnaître et de valoriser les apprentissages du domicile pour la vie professionnelle (visée d’insertion, mais aussi de reconversion), mais également en lien avec l’intérêt scientifique consistant à mieux comprendre les modalités particulières de développement des apprentissages « du quotidien » au domicile et leur spécificité (des apprentissages construits en dehors des situations de formation formelle et des espaces connus du travail, ici dans un espace encore peu travaillé sous cet angle).
Enfin, et de façon liée au point précédent, le troisième constat concerne l’existence de plusieurs points aveugles intéressant directement les recherches en sciences de l’éducation et de la formation, formulés par exemple de la façon suivante : quels sont les modes d’apprentissage au domicile selon les activités qui y sont déployées, qu’il s’agisse d’activités d’« usage » du domicile, du télétravail, des activités explicitement ou non réparties entre les membres de la famille, d’activités liées à l’emploi de salariés au domicile ? (Comment devient-on un employeur à domicile ? Comment apprend-on à définir le travail de son/ses salarié-s ? Comment apprend-on à négocier le travail bien fait et l’organisation du travail des salariés au domicile ?). Peut-on dire que les apprentissages
développés au domicile en lien avec ces différentes activités ont des caractéristiques singulières ? Peut-on distinguer les apprentissages « du », « au » et « depuis » le domicile ?
À partir de ces trois constats, et pour commencer à alimenter les questions posées, nous pourrions formuler deux propositions concernant les liens entre domicile et apprentissages. Considérant que toute activité est le support d’apprentissages « en actes » (comme l’ont largement montré depuis le milieu du XXe siècle les travaux classiques en analyse du travail et en ergonomie (Leplat, 1995, par exemple), la première proposition consisterait à dire que les activités traditionnelles ainsi que les activités nouvelles déployées à l’occasion des changements précités conduisent les acteurs du domicile à développer effectivement des apprentissages qu’il serait probablement utile d’identifier à des fins multiples (qui correspondent à des enjeux sociaux), par exemple à des fins :
– d’amélioration de l’ergonomie des dispositifs nouveaux qui entrent au domicile (exemple de la télésurveillance, de l’HAD, …) ;
– d’accompagnement plus efficace des membres du domicile dans la prise en charge de
certaines activités par la proposition d’actions de formation éventuelles ;
– de reconnaissance et de valorisation de ces apprentissages informels dans le cadre de
validation des acquis de l’expérience (VAE) et de retour en formation et aide à la mobilité
professionnelle considérant que bon nombre de ces apprentissages déployés au quotidien et au domicile ont très probablement une transférabilité forte dans les activités professionnelles.
La seconde proposition consisterait à considérer que les apprentissages développés au fil des activités déployées au domicile ont probablement plusieurs caractéristiques qui signent leur spécificité :
– des apprentissages co-construits entre membres du domicile et entre membres du domicile et intervenants ponctuels ou réguliers venant de l’extérieur : transferts d’apprentissages des intervenants extérieurs vers les personnes du domicile sous la forme d’un partage d’expertise, apprentissages mutuels selon une logique de co-construction de savoirs et compétences nouvelles liées à l’adaptation de l’usage de nouveaux équipements, mais aussi en lien avec la nécessité de déployer de nouveaux modes relationnels avec les intervenants ponctuels (gestion des compétences d’un salarié à domicile : prescription du travail, évaluation du travail…) ;
– des apprentissages « situés » dans l’ici et maintenant de l’activité mise en œuvre seul ou à plusieurs au domicile ;
– donc des apprentissages souvent très incorporés (Leplat, 1995) qu’il s’agisse de compétences techniques (liés à l’usage de nouveaux appareillages), de compétences relationnelles ou managériales, de « matrices » de conception des autres… ;
– or les apprentissages incorporés sont très attachés aux situations, au corps, aux affects-émotions et très difficilement identifiables par celui qui les a produits et donc peu transférables (on perçoit là l’un des enjeux sociaux à mieux les identifier pour permettre de les faire reconnaître et de faciliter ensuite la formation à ces apprentissages).
2– Bibliographie
Angotti, M. (2008). Emploi familial : le vécu des particuliers employeurs. Consommation et modes de vie, 213. https://www.credoc.fr/publications/emploi–familial–le–vecu–des–particuliers–employeurs
Avril, C. (2014). Les aides à domicile. Un autre monde populaire. La dispute.
Djaoui, E. (2011). Approches de la « culture du domicile ». Gérontologie et société, 34 (136), 77–90.
Leplat, J. (1995). À propos des compétences incorporées. Éducation permanente, 123, 101–114.
Wittorski, R., Clénet, C., Obertelli, P., Tocqueville, M. et Finot, J.–P. (2020). Les apprentissages mutuels des particuliers employeurs et des salariés au domicile. Savoirs, 53(2), 69–86.
3–Modalités de soumission et consignes aux auteurs
Le numéro thématique de la revue DSE sera composé de huit textes de recherche traitant, à partir d’investigations empiriques, d’une ou plusieurs des questions suivantes évoquées plus haut :
– que peut–on dire du mouvement de « domiciliarisation » en cours et de la façon dont il impacte les activités du et au domicile ?
– quels modes d’apprentissages au domicile peut–on distinguer en fonction des activités qui y sont déployées ? (par exemple, « usage » du domicile, télétravail, activités plus ou moins réparties entre les membres du foyer, activités liées à l’emploi de salariés au domicile…). Comment devient–on un employeur à domicile ? Quel est son rôle dans une société de mise en contact direct des prestations de services entre fournisseur et particulier ? Comment apprend–on à définir le travail de son/ses salarié–s ? Comment apprend–on à négocier le travail bien fait et l’organisation du travail des salariés au domicile ?)
– y a–t–il des caractéristiques singulières des apprentissages développés au domicile en lien avec ces différentes activités ? Peut–on distinguer les apprentissages « du », « au » et « depuis » le domicile ?
Chaque texte devra satisfaire plusieurs des critères suivants :
– présenter un questionnement de recherche situé ;
– faire état des principaux travaux existants à propos de ce questionnement et préciser les choix théoriques et conceptuels ;
– présenter et justifier les choix méthodologiques opérés pour la conduite de l’investigation empirique ;
– présenter une analyse et une discussion des données empiriques produites ;
– indiquer les retombées sociales, socio–professionnelles et scientifiques des résultats obtenus
Les textes (incluant bibliographie et notes de bas de page) ne devront pas dépasser 45 000 signes espaces non compris et respecter les règles de la revue (précisées sur le site de la revue : https://efts.univ–tlse2.fr/accueil/revue–dse).
Ils devront être envoyés au plus tard le 31 octobre 2023 à l’adresse suivante :
richard.wittorski@univ–rouen.fr
4–Calendrier
Octobre 2022 : appel à contributions
Octobre 2023 : réception des articles
Novembre 2023 – mars 2024 : double expertise des articles
Avril – juin 2024 : navettes avec les auteurs
Second semestre 2024 : parution du numéro