Dans le cadre des 50 ans de l’IREDU, Sophie Morlaix a accepté de nous parler d’une de ses publications. Il s’agit d’un article intitulé « Rechercher une meilleure répartition du temps scolaire en primaire pour favoriser la réussite au collège », daté de 2000 et paru dans la Revue Française de Pédagogie n°130.
« Pouvez-vous resituer cette publication dans votre carrière ? »
Sophie Morlaix : « Je suis professeure des universités en sciences de l’éducation. L’article dont on va parler est un article paru dans la Revue Française de Pédagogie en 2000 et qui reflète en fait le travail développé pendant ma thèse de doctorat en économie de l’éducation. L’origine de la publication était le travail de thèse. En fait, c’était à la suite de la soutenance de la thèse que cet article de synthèse de la thèse est paru. »
« Comment a émergé cette question de recherche ? »
Sophie Morlaix : « La question de recherche a émergé à la suite de mon mémoire de DEA pendant lequel j’avais travaillé sur l’utilisation du temps scolaire à l’école primaire. Ensuite, le contrat doctoral sur lequel j’avais été positionnée, portait sur la transition entre l’école primaire et le collège. Donc, on a profité du fait que j’avais déjà travaillé sur la question de l’allocation du temps scolaire pour développer cette problématique sur l’école primaire et le collège. La thèse a commencé en 1996 et je l’ai soutenue en janvier 1999. »
« La question de recherche était-elle liée à des réflexion internes à l’IREDU ? »
Sophie Morlaix : « Oui, le DEA était en fait le DEA analyse des politiques éducatives qui est maintenant le master 2 expertise sociologique et économique en éducation. Mon mémoire de DEA a été suivi conjointement par Alain Mingat et Marie Duru-Bellat me semble-t-il. Il entrait dans un des axes de l’IREDU de l’époque où on s’intéressait déjà aux différences de réussites entre élèves tout au long du parcours scolaire. »
« Lors de vos travaux, vous avez envisagé des collaborations ? »
Sophie Morlaix : « Lors des travaux de la thèse, le travail est assez individuel bien évidemment mais il y a eu différents types de collaborations qui se sont noués. Notamment des collaborations avec les inspecteurs et les écoles qui ont participé à la recherche. Mais il y a eu aussi des collaborations scientifiques qui se sont nouées à ce moment-là, grâce à des rencontres dans des colloques auxquels j’ai participé, ou encore grâce à une école d’été du CNRS à laquelle j’avais également participé pour me former aux modèles structuraux et à la méthodologie sous LISREL. Il y a eu des collaborations scientifiques ponctuelles soit pour la thématique de recherche soit pour la méthodologie utilisée. »
« Avez-vous bénéficié d’apports déterminants de certaines lectures ? »
Sophie Morlaix : « Oui forcément parce que la thèse repose sur un certain nombre d’apports théoriques, qui sont issus notamment, dans la partie revue de la littérature, des modèles économiques de Becker et de Lancaster, par exemple qui permettent d’éclairer la problématique d’un point de vue économique. C’est-à-dire de montrer que certains principes économiques peuvent tout à fait s’adapter au contexte de la classe quand on parle par exemple d’effet marginal décroissant. Ainsi, on considère qu’il est peut-être inutile d’accroitre le temps indéfiniment pour telle ou telle discipline. Ce n’est pas en accroissant ce temps indéfiniment qu’on va amener tous les élèves à la réussite. A partir d’un certain seuil, le rendement marginal d’une unité de temps diminue parce qu’il y a de moins en moins d’élèves qui atteignent l’objectif. C’était par exemple un des concepts issus de la théorie économique. Un autre concept économique mobilisé c’était la notion de coût d’opportunité qui est chère aux économistes. Elle montre que, dans l’arbitrage qu’on a à faire dans l’allocation du temps à l’école primaire, on a un temps, un volume global qui est imparti (à l’époque de 26 heures). Et il fallait dans ces 26 heures allouer du temps à chacune des disciplines scolaires En fait, la notion de coût d’opportunité était intéressante dans ce cas-là, parce qu’elle suppose que lorsqu’on consacre plus de temps à une discipline, on en consacre moins aux autres. Donc les choix qu’on va faire, ou plutôt que l’enseignant va faire, entraînent une répercussion sur les autres temps impartis aux autres disciplines. La notion du coût d’opportunité en économie se rapporte à tout ce à quoi on renonce en faisant tel ou tel choix, et s’applique particulièrement bien au cadre de la classe, et à la répartition du temps scolaire. L’enseignant, en allouant plus de temps aux maths ou au sport par exemple, renonce en contre-partie à un certain temps alloué à toutes les autres disciplines. Donc, il y avait à la fois cet apport des théories économiques qui sous-tendaient le raisonnement qu’on allait avoir par rapport à l’arbitrage optimal du temps qu’on cherchait. Puis, d’autres apports sont issus des sciences de l’éducation. Les recherches notamment en France mais également en Angleterre ou dans les pays anglosaxons montraient qu’il y avait une variété dans l’allocation du temps scolaire. Cette variété avait certainement des effets sur les acquisitions. La thèse revient sur ces constats et montre que même dans le cas qui est le nôtre, des classes de CM2 en France sur un échantillon précis, on obtient ce genre de résultat.
« Quel était l’enjeu scientifique de cette recherche ? »
Sophie Morlaix : « L’enjeu scientifique de la recherche tenait essentiellement au caractère novateur de la problématique ou en tout cas à la façon novatrice d’aborder cette problématique. Parce que l’idée n’était pas que de mettre à jour de la variété dans l’utilisation du temps scolaire entre les enseignants. Ça avait déjà été montré dans les travaux de Bruno Suchaut, ou de Marguerite Altet qui avait travaillé là-dessus au niveau du CE2. Bruno Suchaut, s’était intéressé plutôt au niveau du CP. Là, le travail de thèse portait sur la liaison entre le primaire et le second degré donc CM2/ 6ème. L’idée de la thèse était d’aller plus loin que de constater de la variété ou de l’expliquer par les caractéristiques des enseignants ou des élèves. La plus-value tenait dans la question supplémentaire qu’on posait à savoir : « Quelle serait la répartition optimale du temps à l’école primaire pour que les élèves réussissent le mieux possible à leur entrée au collège ? ». Donc l’idée de la thèse était de développer un modèle qui permette de comprendre les arbitrages à faire pour que les élèves réussissent mieux par la suite dans leur parcours au collège puisqu’on sait que c’est à l’arrivée au collège qu’ils vont commencer à rencontrer vraiment des difficultés. »
« C’était un thème novateur pour la fin des années 1990 ? »
Sophie Morlaix : « C’était un thème novateur dans la façon de traiter les questions. On avait déjà un certain nombre d’éléments sur l’explication, sur le fait qu’il existe de la variété dans l’utilisation du temps scolaire. On sait que l’enseignant en classe de primaire affecte le temps, non comme il le souhaite car il a des directives nationales, mais il est tout de même assez libre de l’affectation entre les différentes disciplines. On savait l’expliquer notamment par les caractéristiques de l’enseignant ou certaines caractéristiques des élèves même s’il y avait une large part de variance inexpliquée. En revanche à l’époque, ce qu’on n’avait jamais fait et ce qui était assez nouveau dans la thèse, c’était d’essayer de comprendre ce qui était le plus bénéfique pour les élèves en termes de répartition du temps scolaire. Et de mettre à jour et ça c’était la première fois dans les travaux de IREDU, des compétences transversales que les différentes matières développaient. En fait, le temps alloué aux différentes disciplines permettait de mesurer différentes compétences transversales à toutes les disciplines. Ce sont les compétences transversales développées dans les différentes disciplines qui servaient, si vous voulez, de numérateur commun aux différentes disciplines, savoir ce que chacune apportait aux élèves. Ces compétences transversales étant par la suite utiles pour la réussite au collège. »
« Les résultats obtenus vous ont-ils surpris ? »
Sophie Morlaix : « La démarche en tant que telle était assez novatrice. Je n’avais pas d’idée préconçue sur les résultats que j’allais trouver. J’étais surtout attachée à la démarche en me disant : « est-ce que je vais pouvoir produire grâce à cette méthodologie nouvelle (utilisation de modèles structuraux et utilisation de variables latentes) des résultats intéressants ? ». Mais je n’avais pas d’idée préconçue en me disant : « tiens, il faut passer plus de temps sur cette discipline-là ou sur celle-là pour qu’ils réussissent ».
« Les résultats ont-ils fait débat par la suite ? »
Sophie Morlaix : « Les résultats en tant que tels n’ont pas fait débat. La façon de faire a plus permis de renouveler des approches méthodologiques plus classiques utilisées jusqu’alors. La méthode employée présentait un intérêt nouveau en se disant : « on peut mettre à jour aussi des variables latentes en utilisant des modèles un peu plus sophistiqués » que ce qui se faisait habituellement à l’IREDU, toujours en mobilisant une approche quantitative et économétrique. C’est la tradition du laboratoire. Là on utilisait des modèles d’équations structurelles qui permettaient d’approximer des variables latentes qu’on n’avait pas observées directement. C’était ça aussi l’intérêt du travail, de dire : « on peut utiliser des méthodologies différentes pour expliquer des différences de progression des élèves, je pense que l’apport méthodologique du travail a été conséquent. »
« Cet apport a été repris par la suite ? »
Sophie Morlaix : « Oui, il a été repris. Déjà parce qu’au sein du laboratoire, j’ai formé un certain nombre de mes doctorants à ces approches-là, aux modèles structurels et à l’approche par les variables latentes. Par la suite mes travaux ont utilisé et utilisent fréquemment ces méthodologies. En fait, ces modèles en équation structurelle en utilisant des variables latentes sont très développés notamment chez les psychologues, mais beaucoup moins en sciences de l’éducation. »
« Est-ce qu’il y a eu des prolongements de cette publication à l’IREDU ? »
Sophie Morlaix : « Prolongement des publications oui, pas exactement sur l’utilisation du temps scolaire qui est un peu la question de base. En revanche, il y a eu des prolongements sur ces notions de compétences, de compétences transversales, de mesure des compétences transversales par des variables latentes. Il y a eu énormément de travaux et ma carrière de chercheur repose essentiellement sur la mesure, l’identification de ces compétences transversales notamment grâce à l’utilisation de variables latentes et d’équation structurelles. »
« Rétrospectivement, est-ce que vous auriez changé quelque chose à l’article ? »
Sophie Morlaix : « non, je pense que l’article reflète parfaitement le travail de thèse. Bien-sûr, un travail de recherche n’est jamais fini. Aujourd’hui, si on prolongeait l’article on s’intéresserait peut-être à d’autres enseignements, à d’autres disciplines. On irait peut-être plus loin parce qu’en 20 ans forcément on a affiné la méthodologie. Il y a des choses plus précises qu’on pourrait mettre en évidence sur le type de compétences transversales développées. Mais si je recontextualise l’article à l’époque, je n’ai pas de regret. Je trouve qu’il reflète bien le travail de thèse. Aujourd’hui, il pourrait être prolongé mais à l’époque quand il parait en 2000, il est très fidèle au travail de thèse. »
« Pourquoi avoir fait cette publication dans cette revue ? »
Sophie Morlaix : « Il se trouve que la Revue Française de Pédagogie est l’une des revues les plus cotées dans le domaine des sciences de l’éducation. C’était aussi un peu un défi de publier les résultats de la thèse dans cette revue-là qui semblait être la plus visible d’un point de vue scientifique pour les sciences de l’éducation. »
Propos recueillis par Athénais Daval