Pourquoi planifier l’offre de formation professionnelle au niveau régional ?

A l’occasion des 50 ans de l’IREDU, Christine Guégnard a accepté de nous parler de son article intitulé « Les déterminants de l’offre de formation » paru en 1991 dans Régions, formation, emploi. Démarches et méthodes. Collection des études, n° 59, Céreq. Elle a été ingénieure d’études au Céreq jusqu’en 2019 et est désormais chercheure associée à l’Irédu depuis. Elle a toujours orienté ses travaux autour de l’orientation et l’insertion des jeunes dans les différents milieux professionnels.

« Quelle était votre situation professionnelle, quand vous avez écrit ce papier ? »

 

Christine Guégnard : Quand ce document a été réalisé, c’était un grand tournant, un tremplin dans ma carrière professionnelle. L’histoire de cette publication débute en 1989. 1989, c’est l’année où j’ai infiltré l’Irédu comme chargée d’études au CIA Céreq (Centre Inter-régional Associé au Centre d’études et de recherches sur les qualifications) de Dijon et je suis restée quelques années sur ce poste, 30 ans exactement. Avant, j’étais conseillère d’orientation dans l’académie de Versailles puis au rectorat de Dijon. Mais dès 1982 j’étais  exfiltrée à l’Irédu pour travailler sur les enquêtes d’insertion réalisées par le Céreq auprès des jeunes.

 

« Quelle était l’origine de la publication ? Comment a émergé cette question de recherche ? »

 

Christine Guégnard : Plus précisément, cette publication est le rapport final d’un Groupe de travail sur l’analyse régionale de la relation formation emploi qui s’est constitué début 1989 avec publication en 1991, soit il y a 30 ans… après un rapport intermédiaire. Cette publication et question de recherche étaient à l’initiative du Céreq (avec un soutien financier du ministère de la Recherche) mais a trouvé écho dans les réflexions nationales, internes et externes de l’Irédu avec d’autres institutions et acteurs locaux sous l’impulsion d’un contexte bouillonnant, un contexte institutionnel très porteur, novateur et un enjeu scientifique renouvelé. C’était en 1989, en quelque sorte une révolution régionale… marquée par le début de la décentralisation. Pour rappel, dès 1983 sont transférées aux régions des compétences jusqu’alors assurées par l’État en matière de formation professionnelle des adultes et d’apprentissage, puis en 1985 le schéma prévisionnel des formations qui définit au niveau de la région, les besoins qualitatifs et quantitatifs de formation professionnelle initiale… Il faut savoir qu’avant, notre système éducatif en France était construit autour d’un principe d’homogénéité et de centralisation, tout se décidait et était planifié à Paris… et on assiste à une nouvelle articulation des pouvoirs entre les différents services de l’État, les régions, les départements etc., à une mise en synergie de diverses institutions et personnes qui, jusqu’alors, travaillaient chacune dans leur coin. Ce mouvement de décentralisation s’accompagne alors d’une recherche de cohérence et de complémentarité et sur un plan technique, apparaissent de nouveaux besoins d’informations et d’outils d’aide à la décision, d’où la création des OREF (Observatoires régionaux de l’emploi et de la formation).

Pour faire simple, au plan régional, est créé dès 1989 en Bourgogne, un OREF constitué en réseau interinstitutionnel avec un double objectif : assurer la coordination des analyses et des informations disponibles dans les domaines de la formation et de l’emploi et élaborer des indicateurs pour faciliter la décision des acteurs régionaux et locaux. Les institutions représentées étaient alors : le conseil régional, le Rectorat, l’Anpe, la direction régionale du Travail de l’Emploi et de la Formation professionnelle, la direction régionale de l’Agriculture et de la Forêt, l’AFPA, la délégation régionale de l’INSEE et l’Irédu via le CIA Céreq.

Et au plan national, est proposé ce Groupe de travail piloté par le Céreq. Rappelons que le Céreq a été créé au début des années 70, sous l’égide des ministères de l’Éducation et du Travail, avec pour mission (toujours actuelle) d’appréhender les liens entre formation, emploi et activités professionnelles. L’originalité de ce Centre a été de s’associer à des équipes de recherche universitaires ou du CNRS réparties sur toute la France, dont l’Irédu. D’où la détermination de créer ce Groupe qui se composait d’un réseau de personnes ressources, intéressées, membres des OREF, personnels du Céreq et de ses Centres inter-régionaux associés, des services d’études régionaux et nationaux de l’INSEE, ministères du Travail, de la DEP, l’Anpe, etc., puis de publier diverses contributions illustrant l’intérêt des approches et d’une recherche collective.

« Cette question de recherche était-elle liée à des réflexions internes à l’Irédu ou externes ? »

 

Christine Guégnard : Les deux. Une partie des préoccupations de l’Irédu était déjà tournées vers les liens entre les formations et les carrières professionnelles, à côté des travaux sur les rendements de l’éducation. Donc liée à des réflexions internes avec des collègues dont notamment Jean-Jacques Paul qui a soutenu sa thèse en 1987 sur cette problématique, Jean-Claude Eicher intéressé par le développement local et président du comité scientifique de l’OREF et André Giffard l’un des co-animateur de cet observatoire. Et si mes souvenirs sont exacts, il existait aussi un séminaire à l’initiative de l’Irédu ouvert à d’autres services d’études dijonnais sur le thème qualification emploi travail… En fait, depuis sa création, le Centre associé au Céreq de Dijon a orienté ses activités d’études et de recherche vers une meilleure compréhension de la relation entre formation et emploi, via les enquêtes d’insertion. Cette mission a favorisé ma participation à ce Groupe de travail et à l’animation de l’OREF durant plusieurs années.

Liée à des réflexions externes aussi, car un livre venait d’être publié « l’introuvable relation formation emploi » dirigé par Lucie Tanguy, lecture scientifique déterminante en 1986. Donc un contexte scientifique qui souligne la complexité de la relation formation emploi, remet en cause l’approche adéquationniste, méthode qui estimait à partir de modèles macro-économiques la population active nécessaire par qualifications pour décider au niveau national des ouvertures ou fermetures de classes dans divers territoires. Cette logique adéquationniste restée jusqu’au VIIe plan est remise en cause dans un contexte d’évolution du monde productif (secteurs, activités professionnelles….) et du monde éducatif (rénovation des diplômes, création du baccalauréat professionnel…), dans un contexte où les jeunes connaissent des difficultés d’insertion sur le marché du travail, où diverses enquêtes soulignent les décalages entre emploi occupé et formation reçue, etc.

Au final, en 1989 on était au cœur d’un autre raisonnement, d’une approche de la relation formation emploi à construire avec deux réseaux au plan national et en Bourgogne qui se croisent et s’entrecroisent et s’enrichissent mutuellement sur ce thème, avec l’incitation de se rapprocher des territoires, de mettre en synergie des analyses, des méthodologies nouvelles et des stratégies d’acteurs afin d’avoir une connaissance partagée, une vision du monde commune sur un territoire, de rapprocher les différents morceaux du puzzle formation-emploi.

« Qui a rédigé cet article ? »

Christine Guégnard : Nous étions quatre auteurs avec Françoise Dauty du CIA Céreq de Toulouse, Jean Biret co-pilote et animateur du Groupe de travail du Céreq et Laurent Bultot de l’OREF de Lille. Cet article se centrait sur la carte scolaire où la régulation de l’offre de formation initiale du second degré, enjeu toujours présent, a un impact important sur les choix des jeunes et de leurs familles.

 

« Et quels étaient les aspects les plus novateurs de l’article ? »

 

Christine Guégnard : Souligner différentes logiques ou stratégies dans les décisions d’ouverture et de fermeture de classes : une logique scolaire administrative de type service public liée à la nécessité de scolariser selon des objectifs nationaux et ministérielles ; une logique d’aménagement du territoire pour les questions d’implantation, de transport (choix entre des pôles spécialisés, objectif de diminuer les inégalités de territoires), pouvant être lié à un projet d’établissement ou de bassin ; une logique sociale comme la demande de scolarisation dans les lycées qui à ce moment-là dépassait les prévisions ; une logique économique plus diffuse avec des tentatives de mise en relation des données scolaires avec des indicateurs socio-économiques de cadrage au niveau local, sans oublier le poids des acteurs économiques (un élu local, une branche professionnelle…).

Et aussi mettre l’accent sur la relation entre formation et emploi qui ne dépend pas de la recherche d’une totale adéquation entre niveaux-spécialités de formation et besoins en qualification des entreprises : les jeunes sortants de l’école ne sont pas les seuls à chercher du travail, une formation peut mener à différents types d’emplois dans divers secteurs, un poste de travail peut être occupé par des personnes de formations diverses… Cela suppose bien plus une convergence des comportements et des projets des décideurs et des acteurs publics et privés, une prise en compte de la spécificité des territoires et des savoirs.

 

« Les résultats sont-ils toujours d’actualité ? Pourquoi ?  »

Christine Guégnard : C’est une problématique toujours d’actualité. Les décideurs de la vie économique et sociale sont toujours nombreux à avoir besoin d’informations, de méthodes, d’études approfondies, de recherches pour connaître les rapports complexes entre formation, emploi, travail. L’élaboration de la carte scolaire résulte de la confrontation d’un ensemble d’informations, l’idée centrale consistant à canaliser une réflexion active des acteurs locaux. Disposer d’un diagnostic fin est une nécessité pour réfléchir à l’avenir et proposer des solutions et des stratégies d’action appropriées aux réalités du terrain, du territoire. Depuis cette publication, les OREF ont évolué (Emfor pour la région Bourgogne Franche-Comté) en lien avec les compétences des conseils régionaux qui ont été renforcées aussi (dernièrement l’orientation) et ils ont renforcé leur expertise en appui aux acteurs régionaux et locaux.

« Quels ont été les prolongements de cette publication ?  »

Christine Guégnard : Multiples ! De mon côté à l’Irédu, le thème de la carte scolaire a été renouvelé dix ans plus tard avec des collègues du réseau Céreq dans un document du Céreq, et les mêmes logiques de gestion, économique, demande sociale et aussi politique se retrouvent[1] ; autre exemple, dans le cadre du réseau OREF en Bourgogne, quatre publications ou contributions à l’approche locale de l’emploi et de la formation ont été réalisées. De leur côté, d’autres collègues du réseau Céreq ont étudié la construction de l’offre de formation professionnelle[2]… Donc multiple du fait de publications variées, régionales, nationales mais aussi scientifiques (la liste est longue !), des participations à des colloques, des groupes de travail locaux, régionaux, inter-régionaux, nationaux ou nationaux ; avec aussi la création des « Journées du local » via le réseau Céreq[3] permettant des échanges, une recherche collective sur cette thématique, avec divers partenaires, en associant par la suite les CARIF-OREF… Au final, Formation Emploi et Territoires recouvrent des enjeux toujours d’actualité !


Propos recueillis par Margot Moncomble, stagiaire à l’IREDU

[1]« L’ouverture d’une formation : quelle méthodologie, quelles informations pour l’aide à la décision ? », Documents Observatoire n° 168, Céreq, 15-36, 2002.

[2]« Construction et régulation de l’offre locale de formation », Documents Synthèse, n° 117, Céreq, 1996.

[3]« Dix ans de recherche sur l’approche localisée de la relation formation-emploi », Documents Séminaire, n° 167, Céreq, 2001.

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